La Guerre des Tarifs de Trump : Génie Économique ou Pari Mondial ?

La Guerre des Tarifs de Trump : Génie Économique ou Pari Mondial ?

Les tarifs douaniers sont peut-être le sujet économique le plus brûlant de l’actualité. L’administration Trump a imposé des tarifs sur pratiquement tous les pays, y compris les plus petits. Mais ces mesures produiront-elles réellement les effets escomptés ? Comment affecteront-elles les entreprises et les citoyens américains moyens ? Pour répondre à ces questions, nous avons invité le Dr. Adam Ozimek, économiste et expert en tarifs douaniers, pour analyser en profondeur cette politique commerciale controversée.

Les tarifs douaniers : taxe ou inflation ?

Une idée reçue suggère que les tarifs douaniers engendrent automatiquement de l’inflation. Mais est-ce vraiment le cas ? Adam Ozimek apporte une nuance importante :

« Il faut distinguer le court terme du long terme. À court terme, un tarif douanier fonctionne comme une taxe de vente et peut effectivement créer une pression inflationniste temporaire. Cependant, à long terme, comme il s’agit d’une taxe qui génère des revenus, son impact inflationniste devrait s’estomper. »

Cette distinction est cruciale, mais l’économiste ajoute une mise en garde importante :

« Imaginez que nous importions tous les essieux pour nos voitures et camions de l’étranger, puis que nous imposions un tarif de 1000% sur ces pièces. Les importations chuteraient à zéro, mais la production automobile s’effondrerait également. Ce type de perturbation massive de la chaîne d’approvisionnement pourrait effectivement créer des pressions inflationnistes, surtout si la Fed tente de compenser en baissant les taux d’intérêt face au chômage des travailleurs de l’automobile. »

En d’autres termes, des tarifs modérés et généralisés peuvent fonctionner comme une simple taxe, mais des tarifs extrêmement élevés ciblant des secteurs spécifiques peuvent provoquer des chocs économiques aux conséquences imprévisibles.

La relocalisation de la fabrication : un objectif réalisable ?

L’un des arguments principaux de l’administration Trump en faveur des tarifs est la volonté de rapatrier la fabrication aux États-Unis. Cette stratégie est-elle viable ?

Selon Adam Ozimek, cette approche doit être nuancée et ciblée :

« Si nous parlons d’un ensemble très restreint de composants essentiels à la défense nationale, comme une puce informatique utilisée dans tous nos missiles, alors oui, les tarifs peuvent faire partie d’une stratégie plus large. Mais cette approche doit être ciblée et coordonnée avec nos alliés comme le Japon, la Corée du Sud, le Canada et le Mexique. »

L’économiste souligne qu’une approche plus efficace consisterait à :

  1. Identifier précisément les biens stratégiques préoccupants
  2. Déterminer la meilleure façon d’en assurer l’approvisionnement
  3. Envisager diverses solutions comme le stockage ou les garanties d’achat gouvernemental
  4. Coordonner ces efforts avec nos alliés pour éviter une course vers le bas

« Les tarifs peuvent occasionnellement être un élément de cette stratégie, mais ils ne devraient jamais en être la pièce maîtresse », conclut-il.

Coordination entre politique fiscale et tarifs douaniers

Une dimension intéressante de la stratégie de Trump est la coordination entre baisse d’impôts pour les fabricants américains et augmentation des tarifs douaniers. L’administration propose de réduire le taux d’imposition des fabricants américains à 15%.

Selon Tom Wheelwright, cela pourrait effectivement inciter les entreprises étrangères à s’implanter aux États-Unis pour profiter du plus grand marché mondial :

« Avant 2017, nous avions la déduction pour activités de production nationale qui réduisait effectivement le taux d’imposition des fabricants. Selon tous les témoignages, cette mesure semblait encourager la fabrication aux États-Unis. »

Adam Ozimek, bien qu’en accord sur le principe, suggère une approche différente :

« Je pense que se concentrer sur l’amortissement, permettre d’amortir rapidement les investissements en R&D et les investissements en capital, serait probablement plus efficace que de simplement réduire les taux d’imposition des sociétés de manière générale. »

Les deux experts s’accordent sur un point crucial : la stabilité est essentielle pour les entreprises, particulièrement dans le secteur manufacturier où les investissements sont considérables et s’étendent sur plusieurs années.

Les tarifs douaniers et le risque de conflit

Une question préoccupante émerge : les guerres commerciales peuvent-elles conduire à des conflits armés ?

Historiquement, plusieurs exemples montrent que les tensions commerciales peuvent dégénérer en conflits militaires. Adam Ozimek évoque notamment :

  • L’embargo pétrolier contre le Japon avant la Seconde Guerre mondiale
  • La Boston Tea Party, qui était essentiellement une question de tarifs douaniers

« Si nous essayons d’éviter un conflit avec la Chine, il ne nous sert pas à prendre des mesures qui rendent ce conflit plus probable », avertit l’économiste. « Si nous avions commencé ce découplage de la Chine il y a 20 ans, comme beaucoup de faucons le souhaitaient, qu’aurait à perdre la Chine en envahissant Taïwan ? Nous perdrions cette menace économique. Je pense qu’un découplage brutal augmenterait le risque d’un véritable conflit à Taïwan. »

Les tarifs comme source de revenus

L’administration Trump a suggéré que les tarifs douaniers pourraient générer jusqu’à 750 milliards de dollars par an, permettant potentiellement d’éliminer les impôts sur le revenu pour les personnes gagnant moins de 150 000 dollars.

Adam Ozimek conteste cette logique :

« Les chiffres ne correspondent pas, pas plus que les arguments. Si on prétend que ces tarifs élevés vont entraîner une industrialisation massive et rapatrier toute la fabrication, qu’adviendra-t-il des revenus tarifaires si cela réussit ? Si nous imposons des tarifs sur toutes les importations automobiles au point de cesser d’importer des automobiles, où vont ces revenus ? »

L’économiste souligne cette contradiction fondamentale : les tarifs ne peuvent pas simultanément générer d’énormes revenus ET relocaliser massivement la production aux États-Unis.

La TVA est-elle comparable à un tarif douanier ?

Un point de désaccord intéressant émerge concernant la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA). L’administration Trump a suggéré que la TVA européenne fonctionne comme un tarif douanier, créant un désavantage pour les exportateurs américains.

Tom Wheelwright soutient cette position :

« Prenons l’exemple d’Airbus contre Boeing. Boeing vend un avion à la France, il y a une TVA de 22%. La France vend un Airbus à American Airlines, il n’y a pas de TVA. C’est une différence énorme de 22% sur le montant brut. »

Adam Ozimek conteste cette comparaison :

« La TVA n’affecte pas les conditions de concurrence. Si Boeing et Airbus vendent en France, ils sont soumis aux mêmes conditions. S’ils vendent aux États-Unis, ils sont également soumis aux mêmes conditions. Ce n’est pas le cas avec un tarif douanier, qui crée une différence de taxation selon qui vend dans le pays. »

L’économiste ajoute qu’il faut considérer l’ensemble du système fiscal, pas seulement un élément isolé.

Les déficits commerciaux : problème ou symptôme ?

L’administration Trump a fait des déficits commerciaux bilatéraux une cible principale de sa politique. Cette approche est-elle judicieuse ?

Adam Ozimek distingue deux types de déficits commerciaux :

  1. Les déficits commerciaux bilatéraux (avec un pays spécifique) : « Le déficit commercial bilatéral n’est pas une bonne cible politique. Nous achetons à certains pays et vendons à d’autres. Nous avons un excédent commercial avec l’Australie, est-ce un problème pour l’Australie ? Je ne pense pas. »

  2. Le déficit commercial global : « Notre déficit commercial global est davantage lié à l’épargne et aux investissements nationaux. Pour le réduire, il faudrait augmenter l’épargne intérieure, ce qui est difficile à réaliser uniquement par des tarifs douaniers. »

L’économiste souligne que la demande étrangère pour la dette américaine a certainement un impact sur les flux de capitaux et les flux commerciaux, mais pas nécessairement sur notre bien-être économique :

« Ils réduisent notre coût d’endettement en nous prêtant de l’argent. Ce que nous choisissons de faire avec cet argent est bien plus conséquent que la question de savoir qui nous le prête. »

Perspectives d’avenir pour les tarifs douaniers

Que nous réserve l’avenir en matière de tarifs douaniers ? Adam Ozimek observe des signes d’évolution dans la position de l’administration Trump :

« Vous commencez à voir davantage de signes que l’administration Trump souhaite mettre fin à cette escalade, ce qui est différent d’il y a deux semaines où ils semblaient avoir une très haute tolérance à la douleur économique. Ils ne fléchissaient pas face à la hausse des taux d’intérêt accompagnée de la baisse du marché boursier, ce qui sont des signaux très inquiétants. »

L’économiste perçoit une évolution vers une position plus conciliante, avec des discussions sur un possible accord avec la Chine, bien que la rhétorique reste fluctuante.

« Si vous me forciez à faire une prédiction, je dirais que dans 6 mois, nous serons revenus à des taux de tarifs assez bas et nous aurons conclu quelques accords commerciaux qui ressemblent aux accords que Trump a conclus avec la Chine auparavant – des promesses vides concernant le soja qui ne répondent pas vraiment aux préoccupations de sécurité nationale. »

Conclusion

La politique tarifaire de l’administration Trump représente soit « un grand succès, soit un grand échec » selon Tom Wheelwright, avec peu de résultats intermédiaires possibles. Ce qui est certain, c’est que cette approche suscite des débats passionnés et aura des conséquences économiques significatives.

La véritable voie vers la prospérité ne passe probablement pas par des guerres commerciales unilatérales, mais par une coordination réfléchie avec nos alliés, des politiques ciblées pour les secteurs stratégiques, et un équilibre entre protection des industries nationales et maintien de relations commerciales mondiales productives.

Comme le suggère Adam Ozimek, nous devrions peut-être surveiller notre « ratio boondoggle/PIB » – en d’autres termes, minimiser les dépenses improductives tout en maximisant la croissance économique réelle.

Featured image by Bruno Figueiredo on Unsplash